Abdellah Abdenbaoui
Doctorant à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah (Fès)
Résumé
Le présent article porte sur un conte marocain intitulé Ɛāyšā Ṛmāḍa « Aïcha des Cendres » collecté en février 2022 auprès d’une conteuse de quatre-vingts ans dans les tribus Béni Zemmour (région de Boujaad au Maroc). Ce conte correspond dans le catalogue international Aarne-Thompson au conte-type 510A dont la variante de « Cendrillon » est la plus connue. Nous essayerons de relever la particularité de la variante marocaine, tout en analysant dans quelle mesure elle se distingue de celle de Charles Perrault. Une telle étude confirmera la variabilité interculturelle de ce conte.
Mots clés
Conte, Cendrillon, Aïcha des Cendres, Maroc, Boujaad, variabilité
Abstract
Intercultural variability: “Aïcha of Ashes”, an oral tale of the Beni Zemmour tribes (Morocco). This article focuses on a Moroccan tale entitled Ɛāyšā Ṛmāḍa “Aïcha of Ashes” collected in February 2022 from an octogenarian storyteller in the Béni Zemmour tribe (Boujaad region in Morocco). This tale corresponds to standard tale 510A in the international Aarne-Thompson catalogue, with the best-known variant being Cinderella. We will try to identify the particularities of the Moroccan version and show how it differs from Charles Perrault’s version. Such a study will confirm the intercultural variability of this tale.
Keywords
Tale, Cinderella, Aïcha of Ashes, Morocco, Boujaad, variability
Introduction
« Cendrillon » est un conte très connu, qui a donné lieu à des recherches scientifiques, mais également à de très nombreuses adaptations cinématographiques, comme la comédie Cinderefella (1960), une version masculine du conte (Vivian Labrie, 1989 :133-164).
La version en arabe, Ɛāyšā Ṛmāḍa « Aïcha des Cendres » inédite, collectée par moi-même en février 2022 auprès de Hadda Bouazza, une conteuse de quatre-vingts ans dans les tribus Béni Zemmour (région de Boujaad au Maroc), est comparée à la version de Charles Perrault, par rapport à la variabilité interculturelle.
J’apporte une précision terminologique : « version » désigne en oralité tout texte identifiable à travers la performance qui a donné lieu à son énonciation ; pour les recueils publiés, le terme désigne le texte présent dans l’ouvrage. La « variante », quant à elle, est établie à travers les différences par rapport à une version de référence.
Les versions orales donnent lieu à l’observation des variantes individuelles d’un énonciateur, intraculturelles et interculturelles (U. Baumgardt, 2017). J’aborde ici principalement cette dernière forme de variabilité.
1. Versions européennes de Cendrillon
La version des frères Grimm publiée en 1812 peut être résumée ainsi :
Cendrillon, une orpheline de mère est maltraitée par sa marâtre.
Le roi organise une fête pour le prince, son fils. Avec l’aide d’une fée[1] (sa mère décédée), Cendrillon obtient une robe et des chaussures pour se rendre à la fête, à condition de rentrer à une heure précise. Elle se rend à la fête, elle part à l’heure indiquée ; elle perd une chaussure en quittant le palais.
Le prince veut épouser l’inconnue qui a perdu sa chaussure. De très nombreuses femmes essaient la chaussure, seule Cendrillon arrive à l’enfiler. Le prince l’épouse.
Les versions orales recueillies dans différentes cultures et attestant une variabilité considérable ont intrigué les spécialistes :
Mais les récits de Charles Perrault et des frères Grimm, parce qu’ils ont été écrits, imprimés et diffusés largement, ont fini par constituer un écran qui soustrait à nos regards les centaines, peut-être les milliers d’autres versions recueillies par les ethnologues et les folkloristes (Pichette, 2008 : 155).
C’est dans la perspective de donner accès à la pluralité des textes qu’en Italie, par exemple, l’ethnologue Daniela Perco a inventorié les différentes versions du conte dans la même culture. Sur un corpus de quarante-cinq versions, la spécialiste analyse dans son article « Conza sènari et Cuzza sènari : deux Cendrillons de l’Italie du Nord » (Perco,1989 : 33-54), deux sous-types de la version italienne. Dans l’un, on lit le motif du père salace, dans l’autre on remarque l’absence de désir incestueux. Par ailleurs, elle montre que ses noms varient selon l’accent mis sur l’activité de l’héroïne. En Vénétie par exemple, Cuzza sènare désigne une Cendrillon repliée sur elle-même dans les cendres incarnant ainsi la paresse, alors que Conza sènare désigne une Cendrillon travailleuse. Non loin de l’Italie, et dans une approche comparative, la spécialiste française d’origine corse Mathée Giacomo-Marcellesi analyse les motifs d’une version de « Cendrillon » collectée en Corse méridionale (Marcellesi,1989 :97-131). Contrairement à la trame traditionnellement connue, la maîtresse du père œuvre à remplacer la mère de son vivant. Cette version suggère l’idée que Cinnaredda incarne tout enfant éprouvé, voire les femmes en général, car « toute femme est un peu Cendrillon » (Marcellesi, 1999 :78).
La variabilité est abordée dans une perspective interculturelle par Geneviève Calame-Griaule qui, ayant sillonné l’Afrique de l’Ouest, s’est intéressée notamment aux sociétés des Dogons au Mali, des Isawaghen sédentaires et des Touaregs nomades au Sahel nigérien. Étant frappée par la ressemblance d’un conte en tasawaq avec « Cendrillon » (1989 :187-200), l’ethnolinguiste française questionne des variantes significatives par rapport aux représentations liées à la terre, à la nature et au vécu des populations de cette région de l’Afrique :
Il est en effet tout à la fois surprenant et d’autant plus intéressant de retrouver ici un écho de contes européens qui nous sont des plus familiers, et même de bon nombre des motifs qui leur sont liés, et de voir comment chaque culture les utilise selon son propre appareil de représentations (Seydou, 2004 : 2).
Ces variabilités attestées par les différentes versions orales nous invitent à interroger la spécificité culturelle de notre version Ɛāyšā Ṛmāḍa : dans quelle mesure le contexte culturel des Béni Zemmour a-t-il une incidence sur le parcours spécifique de l’héroïne ? Pour répondre à cette question sous forme d’hypothèse, je présente d’abord le conte dans son contexte culturel en questionnant ensuite le texte par rapport à la variabilité en contexte interculturel.
1. Le conte « Aïcha des Cendres » en contexte
« Aïcha des Cendres » est une version inédite du conte « Cendrillon » qui relate l’histoire d’une orpheline persécutée. La spécificité de ce conte par rapport à la variante de Perrault est la saillance du motif religieux. Par ailleurs, le conte présente une structure narrative différente de celle de Perrault :
Une fille orpheline de mère est maltraitée par sa marâtre. Une fée confectionne une babouche qui va à Aïcha. Le prince veut épouser la femme à qui va la babouche. Il épouse Aïcha. À plusieurs reprises, Aïcha est en contact avec sa marâtre. Celle-ci lui cause des torts, réparés successivement par son mari.
En effet ici, la fabrication de la babouche (la chaussure) par la fée, le substitut de la mère, précède la rencontre du prince et de la fille. L’ellipse qui porte sur la fête n’a pas d’incidence sur le déroulement narratif.
1.1. Contexte spatial et culturel
Les tribus Béni Zemmour sont des tribus arabophones établies autour de la ville de Boujaad. C’est une ville très ancienne disposant d’un patrimoine culturel et historique millénaire qui doit sa notoriété à deux caractéristiques : d’abord, elle est un centre spirituel qui abrite l’une des zaouïas les plus influentes au Maroc : à savoir la zaouïa Cherqaouia, fondée au quinzième siècle par le sage et saint Sidi Mohamed Eccharqui, le vingt-quatrième descendant du Calife du Prophète Omar Ibno Khattab (pour plus de détails, voir Foucauld, 1888 : 45). Par ailleurs, la ville surnommée la « cité de mille et un saints » est l’un des foyers majeurs de la culture soufie et continue d’attirer les pèlerins de toute part du Maroc lors du pèlerinage annuel mewsem. La ville abritait une communauté juive importante qui cohabitait en paix avec les musulmans pendant des siècles. La répartition suivante des activités économiques s’était établie : les musulmans étant spécialisés dans la tapisserie et l’artisanat (dont la fabrication des babouches), les juifs introduisant des fours de pain traditionnels.
1.2. La variante de Hadda Bouaazza
Ce conte de dix minutes a été enregistré le onze février 2022 le soir lors d’une veillée familiale chez la conteuse Hadda Bouaazza, qui est d’ailleurs la coépouse de ma tante maternelle. La conteuse est octogénaire.
1.2.1. Résumé
« Aïcha des Cendres, orpheline de mère, vit sous le même toit que sa marâtre et ses deux demi-sœurs. Elle doit exécuter les travaux les plus difficiles dans la maison (balayer les Cendres).
Une fée, l’« envoyée de Dieu », façonne une babouche à la mesure d’Aïcha et la place devant la porte du palais du Sultan. Le prince ordonne que toutes les filles de la tribu viennent essayer la babouche. Celle à qui elle ira deviendra la princesse. Aucune fille ne réussit, jusqu’à ce qu’on fasse venir Aïcha. La babouche lui va parfaitement, et le prince décide de l’épouser.
La marâtre et ses filles conspirent contre la jeune mariée. Lors d’une visite chez sa marâtre, cette dernière lui demande de troquer ses somptueux vêtements royaux contre ceux de l’une de ses demi-sœurs. Aïcha accepte volontiers. Par la suite, la marâtre envoie sa propre fille chez le prince, feignant d’être Aïcha. Mais la fausse Aïcha est démasquée et le prince ordonne sa décapitation.
Après le départ du prince au pèlerinage à la Mecque, Aïcha décide de rendre visite à sa marâtre à nouveau. Cette fois, la marâtre la jette dans un puits. La fée la sauve et Aïcha accouche de jumeaux. La marâtre fait appel à une sorcière. Cette dernière se rend au palais sous prétexte d’effiler les cheveux de la princesse. Aïcha se laisse approcher, mais la sorcière, au lieu de toucher ses cheveux, lui pique chaque mèche avec une aiguille. Ensorcelée, Aïcha se transforme en tourterelle et s’envole loin. La tourterelle visite régulièrement le château et s’inquiète du prince qui ne revient pas. Elle interroge les ouvriers sur le prince, et ils lui révèlent qu’il est absent. La tourterelle jette une malédiction sur les arbrisseaux et les constructions qui flétrissent et s’effondrent immédiatement.
Un jour, elle apprend le retour du prince et se rend chez lui. Le prince retire les aiguilles, et Aïcha redevient humaine. Elle lui raconte tout ce qui s’est passé. Le prince punit les deux méchantes femmes et vit sereinement avec Aïcha et leurs deux enfants jumeaux ».
1.2.2. Structure narrative
Le conte est structuré en cinq séquences :
Dans la situation initiale, le personnage est présenté comme étant une orpheline maltraitée.
- L’intervention de l’adjuvant, la fée, apporte une amélioration nette de la situation : l’orpheline maltraitée devient la femme du prince.
- Plusieurs méfaits la visent, ils sont déjoués par le mari.
La différence essentielle de la structure narrative par rapport aux autres variantes se situe ici. En effet, si en général, le conte commence par une série de méfaits et se termine par le mariage, ici, la narration inclut la vie maritale d’Aïcha. Cette séquence et son développement apportent des précisions importantes (voir infra).
- En l’absence du mari, un méfait majeur est envisagé, mais déjoué également, avec l’aide de la fée (Aïcha est poussée dans le puits, mais elle est sauvée).
- Un nouveau méfait consiste à l’ensorceler et à la métamorphoser en tourterelle.
- Le méfait est réparé par le prince, les coupables sont punis, l’équilibre est rétabli : le prince, Aïcha et leurs jumeaux sont réunis.
La structure narrative correspond dans les deux versions à ce que Vladimir Propp (Propp, 1970) désigne par le terme de « conte merveilleux » : le méfait initial (mauvais traitement de l’orpheline) est suivi d’une succession d’améliorations et de méfaits, jusqu’à la réparation définitive de tous les méfaits par le mari.
2. Connotations religieuses dans « Aïcha des Cendres »
Le conte « Aïcha des Cendres » présente certains traits communs avec la version de Perrault : le motif des Cendres que l’héroïne doit nettoyer, et celui de la pantoufle (la babouche) qui identifie l’orpheline comme étant la femme que le prince veut épouser.
Par ailleurs, le conte « Aïcha des Cendres » comprend des connotations religieuses. Ainsi, d’entrée de jeu, la conteuse ouvre le récit par une invocation de Dieu qui, d’ailleurs, ne se limite pas à ce conte, mais qu’on peut trouver au début de tout autre conte de la tribu. Ainsi, la conteuse commence le récit par la formule Yā bəsmə-llǟh « au nom de Dieu ».
Dans la version de Perrault, aucune connotation religieuse n’est perceptible. Cependant, le surnaturel est intégré à travers le personnage de la fée dont l’identité varie : le conte fait allusion à la mère ou à une marraine.
2.1. Le nom, Aïcha
En revanche, la culture des Béni Zemmour choisit Aïcha, qui est le prénom de la femme favorite du prophète de l’Islam, prénom auquel est communément apposé le surnom de « Mère des croyants ». Tout en suggérant un lien entre Aïcha et le personnage du conte, le texte distingue ce dernier par la précision « des Cendres ».
2.2. La fée, l’envoyée de Dieu
Par ailleurs, la fée, créature surnaturelle comme dans les versions européennes, est désignée ici par le qualificatif tǟɛṭ ‘llăh » celle de Dieu[2] », « l’envoyée de Dieu ». Cette dénomination de la fée suggère la bonté de celle-ci, bonté qui, selon la culture locale, découle de la bonté que les musulmans attribuent à Allah, une bonté qui est dans le texte sacré du Coran : le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux (le Prologue). En effet, la fée par son aide et par son accompagnement de l’héroïne incarne ici la bonté dont Dieu couvre les êtres faibles et opprimés, notamment les orphelins (Sourate Le jour Montant) : « Quant à l’orphelin, donc, ne le maltraite pas ».
Une aide plus importante est apportée par la fée par la suite :
La marâtre invita Aïcha à se promener dans le jardin. La mégère et ses filles la poussèrent dans le puits. La fée la protégea et Aïcha fut sauve.
2.3. Reprise d’un motif coranique
Une connotation religieuse est suggérée dans l’une des formes de trahison réalisée par la marâtre : en l’amenant dans le jardin, elle pousse Aïcha dans un puits.
Cette scène rappelle un motif coranique, à savoir l’histoire du prophète Youssef qui, dans le Coran, se fait trahir par ses frères. Ces derniers jettent leur frère dans le puits, car ils sont rongés de jalousie à cause de sa beauté et à cause de la place avantageuse que son père Jacob lui réserve. Cette correspondance que la conteuse établit, à travers l’héritage ancestral, étaye encore davantage le trait divin de la fée qui fait office ici de l’envoyée de Dieu. Comme Dieu a sauvé et a fait sortir le prophète Youssef du puits, la fée, de même, est la salvatrice d’Aïcha « des Cendres » : elle protège Aïcha d’une mort certaine, veille sur elle jusqu’à ce qu’elle accouche de jumeaux et la fait sortir du puits.
2.4. Le pèlerinage à la Mecque
Le fils du sultan part à la Mecque. C’est une référence explicite. La dimension religieuse du conte se construit à plusieurs niveaux : La qualité divine attribuée à la fée (Envoyée de Dieu / identification à l’archange Gabriel), renvoie le conte au récit coranique du prophète Youssef ; la symbolique de l’espace (le puits et la Mecque) et le respect de l’un des piliers de l’Islam (le pèlerinage) sont des facettes qui interviennent dans la dimension religieuse du personnage de la fée, et du personnage aidé par celle-ci. Pour cette raison, on peut penser que la dimension religieuse du conte est fondamentale : dans la faiblesse de tout enfant lésé, à l’image d’Aïcha, se cache un destin heureux qui se réalise grâce à l’intervention divine directe ou indirecte.
En effet, Aïcha est récompensée doublement : au niveau séculier par le mariage somptueux qui lui procure une plus haute dignité sociale ; au niveau religieux par l’assurance qu’elle bénéficie de la protection divine qui la sauve. La preuve en est apportée à travers les faits narrés.
En revanche, dans « Cendrillon » de Charles Perrault, l’intervention de la fée n’a pas de connotation religieuse.
Par ailleurs, à la différence des autres variantes de « Cendrillon », on peut relever le fait que l’inclusion de la vie maritale d’Aïcha introduit une dimension supplémentaire dans ce conte. En effet, c’est Aïcha, mariée, qui cherche le contact avec sa marâtre. Conformément aux pratiques culturelles, Aïcha fait preuve de respect envers la « mère », ici plutôt la personne qui occupe la place de celle-ci, en l’occurrence la marâtre. La figure maternelle ainsi placée au centre de l’action illustre ici une superposition entre la mère et la marâtre. Dans cette constellation, le personnage du mari devient central car il apporte un soutien indéfectible à son épouse.
3. Comparaison interculturelle
Le personnage féminin présent dans toutes les versions étudiées ici, l’orpheline maltraitée, suit un parcours narratif qui relève selon Vladimir Propp (1970) de la structure du « conte merveilleux » développée dans la Morphologie du conte. Cette structure peut être schématisée ainsi :
Aïcha/Cendrillon (héros), maltraitée par sa marâtre et ses belles-sœurs (agresseur), subit un méfait. Une fée (adjuvant) intervient pour réparer cette injustice (méfait) en créant une chaussure (auxiliaire). Contrairement à Cendrillon qui doit passer par des tests (épreuve), Aïcha n’est soumise à aucune épreuve. Dans les deux cas, le mariage est conclu (Réparation du méfait).
La structure dans « Aïcha des Cendres » s’étend sur une deuxième séquence : Après une série de méfaits, incluant des tentatives de la marâtre, de la sorcière (agresseur) et de la belle-sœur (faux héros) de tuer Aïcha, le conte s’achève sur la réparation de ces méfaits, sur le châtiment des méchants et la récompense d’Aïcha.
Cependant, le niveau figuratif explicite les variantes interculturelles :
- a) la place de la religion et du surnaturel : « Aïcha des Cendres » recèle des connotations religieuses relatives aux attributs des personnages (l’héroïne, la fée), tandis que dans « Cendrillon », le surnaturel prévaut ;
- b) la forme de l’aide : le moment et la nature de l’aide sont différents dans les deux versions : dans « Aïcha des Cendres », l’aide est inconditionnelle et anticipée ; dans « Cendrillon », elle n’est pas sans restriction. De plus, l’aide de la fée est d’autant plus remarquable dans « Aïcha des Cendres » qu’elle sauve la vie à l’héroïne.
4. Versions marocaines[3]
Après l’analyse focalisée sur la variabilité interculturelle entre « Aïcha des Cendres » et « Cendrillon », je souhaite mentionner brièvement la variabilité intraculturelle entre la variante de Hadda Bouazza et d’autres variantes provenant de différentes régions culturelles du Maroc. Dans un recueil de vingt-deux récits essentiellement fassis, Mohammed El Fassi et Emile Derminghem (1928) présentent une variante intitulée « Âïcha Ramâda ». Par ailleurs, une autre variante de « Aïcha Ramâda » a été recueillie à Marrakech par Françoise Légey (1926). Elle raconte l’histoire d’Aïcha, une belle fille que sa mère, ensorcelée et tuée par la marâtre magicienne, couvre de soins. La mère décédée paraît sous différents attributs (vache, esprit des os enterrés). Bien que le motif de la séparation, caractéristique du conte européen (Belmont, 1991), soit perceptible dans l’épreuve imposée par la marâtre pour empêcher l’héroïne de se rendre à la fête, ce conte s’apparente à la variante que je présente ici par les motifs du puits (Aïcha y accouche d’un enfant), de la fausse héroïne démasquée (Aïcha la décapite, découpe son corps en lanières et les envoie à la marâtre) ou même du prince pratiquant (les ablutions). Cette frappante ressemblance est perceptible aussi dans « le pêcheur » (El Koudia et Allen, 2003), une variante dans laquelle l’héroïne, fille d’un pauvre pêcheur et orpheline de mère, subit une série de méfaits de la marâtre, sa tante. Des méfaits comme l’ensorcellement, à l’aide des épingles fichées dans la tête de l’héroïne qui la métamorphosent en pigeonne blanche, ou comme la trahison (l’héroïne enterrée dans une metmoura : trou profond) sont manifestes dans la version de Hadda Bouaaza à travers les mêmes motifs (le puits, les aiguilles[4]).
Conclusion
La comparaison des variantes souligne la variabilité interculturelle :
La fonction de la religion, en l’occurrence musulmane ; dans Aïcha, elle est centrale alors que dans Cendrillon, la religion est absente et la magie manifeste.
La place de la mère est une superposition entre cette dernière et la marâtre : dans Aïcha, c’est le respect envers la mère, reporté sur la marâtre, qui perd l’héroïne. Une telle ambiguïté n’est pas mentionnée dans Cendrillon : la mère et la marâtre sont radicalement différentes.
Le rôle du mari : dans Aïcha, il est protecteur, alors que dans Cendrillon, son rôle se limite à celui de choisir son épouse.
La spécificité culturelle de « Aïcha des Cendres » apparaît clairement à travers l’étude de la variabilité interculturelle.
Annexe
Le système de transcription adopté ici suit le protocole du Dictionnaire COLIN d’arabe dialectal marocain (voir Sinaceur, 1993).
Ɛāyšā Ṛmāḍā |
Aïcha des Cendres |
Yā bəsmə-llǟh ! Gətlīk kǟnt wǟḥd l-bənt məskīna, hīyyā bqǟt ytīmā mɛā māṛt bōhā, tāygololhā Ɛāyšā Ṛmāḍā. Thəz hīyyā ɛā ṛmād ḥāšākōm, tāygololhā Ɛāyšā Ṛmāḍā, w-hīyyā bnǟthā, mɛāwḍǟhom, mṣāwbǟhom, mgāddǟhom. |
Au nom de Dieu ! il y avait une pauvre fille orpheline qui s’appelait Aïcha des Cendres. Elle vivait avec sa marâtre qui lui infligeait des travaux de ménage humiliants. On la nommait ainsi, car elle balayait tout le temps de la cendre tandis que la marâtre comblait ses filles de soins. |
Nōḍ ā wlīdī, hīyyā tṛabbīhā wəḥdā mən tāwɛ ’llǟh. ’Ddəṛīyyā Ɛāyšā Ṛmāḍā ṛābbǟthā, w-hīyyā tžīb līhā wǟḥəd ’lməsmāq hokkā kāydīṛ. Dǟk ’lməsmǟq ḥāṭṭōh mā yḥəṭṭōh ɛā f-lbǟb tāɛ ’ṣṣolṭǟn[5]. ’lməsmǟq howwā ’lbālġā kīmmā hādšī tāɛ ’šṛǟbəl, šəṛbīl. Šǟfō howwā f-lbǟb, gǟl-līhōm mən mōlāt hād ’ššəṛbīl nnǟḫodhā. |
Un jour, Aïcha des Cendres se fit adopter par « une d’Allah ». Celle-ci apporta une babouche d’une beauté inégalée et la posa près de la porte du Sultan. Intrigué par la babouche, le prince ordonna qu’on cherchât sa propriétaire qui devait être aussi belle que sa babouche et dont le prince tomba amoureux. |
Bəṛḥo gǟɛ lbnǟt. Llī yžīw mən hok, yžīw mən hok, w-lɛəssǟsā w-dākšī, wəḥdā tāyžīhā kbīṛ, wəḥdā tāyžīhā ṣġīṛ. Ɛāwḍət tā hīyyā bnǟthā, gǟddəthom, təbɛthom ’ddəṛīyyā tā hīyyā mšāṛwṭā, gǟlt-līhā : « Fīn ġǟdyā ā Ɛāyšā Ṛmāḍā, lǟš bġǟk ’ṣṣolṭǟn hokkāk dāyṛā mšāṛwṭā ! » |
Le crieur public diffusait la nouvelle. Toutes les filles de la tribu venaient pour essayer la babouche. La marâtre prépara alors ses filles qui se firent belles et ne reconnurent pas Aïcha qui les suivit innocemment. La belle-mère se moqua d’elle et gronda : « Où vas-tu misérable fille ? Le prince ne te prêtera même pas attention, regarde tes haillons ! » |
Mšǟw gǟɛ bnǟt ’ḍḍāwwāṛ kīmā hokkā hǟh. Gǟllək ḍṛok ɛāyṭo lməḥkāmā, gǟɛ dǟzō : wəḥdā tāyžīhā ṣġīṛ, wəḥdā tāyžīhā kbīṛ, hīyyā ṛā mgǟddāh līhā mōlǟto. |
Toutes les filles de la tribu se dirigèrent vers la cour du Sultan et se mirent à essayer la babouche : qui la trouvait petite, qui la trouvait grande, alors que la babouche fut déjà façonnée pour sa propriétaire. |
Gǟl-līh lɛəssās : « Bqǟt ɛā wāḥəd ’ddəṛṛīyyā ṛǟhā fīnā hīyyā ». Gǟl-līh žībōhā. Žābōhā mā yžī ’lməsmǟq ɛā gəd ’ddəṛṛīyyā. Qāyssǟthā, žā gəddhā qāyṣǟṣ nāyṣǟṣ ! Gǟl-līhōm : « Ṣǟfī hǟdī hīyyā llī bġāyt, hǟdī hīyyā llī nnǟḫod ! » |
Le garde dit au prince : « Il ne reste qu’une seule fille qui n’ait pas essayé la babouche ». Le prince demanda qu’on appelle Aïcha. Elle essaya la babouche qui lui alla sur mesure ! Le prince se prononça : « C’est la fille que je cherche, elle sera mon épouse ! » |
Hīyyā tnōḍ līhā māṛt bōhā : « Āwīlī, yā Ɛāyšā Ṛmāḍā, dǟyṛā hōkkǟk mmāddkā ! W-šō bnǟtī kī dāyṛǟt fīn tǟbɛǟnā w-lǟš bġǟk ! » W-hīyyā ɛā sǟktā ɛlīhōm. |
La belle mère s’écria : « Malheur à moi, toi Aïcha Ramada, le prince est sûrement aveugle ! Qu’aime-t-il en toi misérable fille aux guenilles ! Mes filles sont plus belles que toi ! » Elle resta silencieuse. |
Ṣǟfī ’ǟməṛ ɛlīhā mšā žǟb līhā dākššī llī tā yžībōh ’nnǟs, ḫṭābhā. W-mā dǟṛət līhā tā ḥāžā, mā ɛāwwməthā, mā ləbbsəthā, mā dǟṛət līhā kəttǟn, žāybīnhā hōkkǟk, gāllk : « Hād ’ṣṣolṭǟn llī bġā hād Ɛāyšā Ṛmāḍā tā nddīwhā līh hōkkǟk. » Ləytīm kā yəbqā ɛā ytīm ! |
Le prince ordonna qu’on accomplisse le rituel des fiançailles. Mais, la marâtre ne l’habilla pas comme font, de coutume, les mères pour leurs filles et ne lui acheta pas de tissus, elle se dit : « Je rends Aïcha au prince comme telle, puisqu’il l’a choisie. » L’orphelin demeure orphelin ! |
Hǟdīk tɛāṛṛdət līhōm, nāhṛət hǟdōk llī ġǟdǟt bīhā, šō fīn tɛṛdət līhā, ’ddǟthā, ɛāwwməthā, ləbbsəthā ṭāllɛəthā tā təwḍāḥ : wəllǟt ḫṛā ! Šō lɛyālǟt bnǟt lḥṛṛām ānā wəḥdā mənnhōm ( rire). |
On emmena Aïcha chez son époux, la fée la rejoignit avant qu’elle n’entrât au château, la baigna et l’habilla en épouse : Aïcha rayonna de beauté ! Les maudites femmes que nous sommes (rire). |
Žǟt lɛāddhā wəllǟt tā tžī ɛāddhā zāɛmā bəɛd ṣǟbəthā mšǟt w-tqəblt : « Īwā yā ḫōyytī ! dīṛ ḥwəyyžǟtək yžīw gəd ḫtək nṣōl ḥwāyžk wǟš yžīw gəd ḫtək, nṣōl hǟdī w-dīk. » W-mšǟw gāllk tā yšōfō wǟš žāṛḍā hādīk wlā šnō, ddǟthōm zāɛmā tā yšōfō f-’žžāṛḍā. |
Les jours passèrent et Aïcha décida de rendre visite à sa belle-mère. Celle-ci, éblouie par l’habit de Aïcha, l’emmena dans un jardin et laissa tomber de sa bouche : « Oh ma petite fille ! déshabille-toi pour que je voie si ton habit sied à ta sœur. Défais-toi de ceci et de cela. Et toi, porte ses habits. » |
Ṣǟfī hīyyā ɛlā nīyyəthā nāṣlǟt ḥwāyžhā ləbbsəthōm l-ḫəthā. Ṣǟfī kəsbōhā hōmā ymšīw ləbbsəthā lḥwāyž. |
Aïcha se déshabilla et porta les vêtements de sa belle-sœur. La marâtre habilla sa fille en Aïcha. |
Gǟlt-līhā : « Lbəs ḥwāyž ḫtək w-ḫtək tlbəs ḥwāyžk. » |
Elle lui dit : « Échange ton habit avec ta sœur. » |
Bəddlthā, ddǟt ’ṭṭōflā hīyyā llī ɛānd ’ṛṛǟžəl w-ḫāllǟt līh bənthā. Ṣāb ’ṭṭōflā mtāllġā mā ɛāṛfǟtš līh dākšī llī tā thḍāṛ ’ṭṭōflā w-llī tā ddīṛ. Dǟr hǟh ṣāb ṛāṣhā ḥṛāš. |
Elle envoya alors sa fille chez le prince et garda Aïcha. La belle-sœur témoigna d’une grossièreté qui laissa le prince douter de son identité. Il remarqua ses cheveux. |
Gǟl-līhā : « Mǟl šāɛṛək ḥṛāš ? » |
[Aussitôt,] le prince lui demanda : « Pourquoi tes cheveux sont-ils rêches ? |
Gǟlt-līh : « Īwā ɛā mən māšṭətkom. » |
– C’est la faute de votre peigne mon seigneur, s’exprima la fille sotte. » |
Gǟl-līhā : « W-mǟl yəddīk ḥāṛšǟt ? » |
Le prince demanda : « Tes mains aussi, elles sont rugueuses ! |
Gǟlt-līh : « Īwā ɛā mən ḥākkǟktkōm ! » |
– C’est à cause de vos gants de gommage, répondit maladroitement la fille. » |
Hōwwā yɛīq bīhā, tā thḍāṛ hōwwā yɛīq bīhā. Gǟl-līhā : « Gōl ttī bədlōk līyyā b-Ɛāyšā ! » |
Le prince conclut qu’il se faisait avoir : « On m’a remis cette bête à la place de Aïcha ! » |
Gāllk gṭāɛ līhā ’ṛṛǟṣ w-ɛṭǟh l-ḥōṛṛǟṣ yddīwh tāwɛō, dǟṛōh fī hādā, ṣāyfəṭ līhā lɛāwd fīh ’ṣṣǟk, fīh dǟk ’ṛṛǟṣ fīh kōlšī, əh gǟlt-līhōm šī ḥād hādā žāynī lməṛsōl mən ɛād bəntī, ɛā tā ṣǟbət dīk lqāḍīyyā lkāḥlā w-hīyyā tġāwwət, īwā gǟl-līhā : hǟ bǟš bəddltī Ɛāyšā, īwā bqǟt tā təndāb w-tġāwwət. |
Le prince se mit en colère, ordonna de décapiter la prétendue princesse et d’envoyer sa tête aux siens. Les gardes rendirent la tête à la marâtre qui pensait que sa fille lui avait envoyé un cadeau par les émissaires. Elle ouvrit la boîte et se mit à hurler : elle s’écroula, s’administra des gifles et pleura sa fille décapitée. |
W-Ɛāyšā mšā žǟbhā ḥəmlət. Ɛəgbət žǟthā tǟnī, hōwwā māɛāṛt mšā l-ḥəž wlā māɛāṛt fīn mšā, mšā l-šī ḥǟžā ġǟb w-hīyyā tžīhā, šō kīfǟš tā žǟthā w-ḫəṛžō l-’žžāṛḍā, w-hōmā y-lōḥōhā f-lbīṛ māṛt bōhā w-bnǟthā. |
Le prince récupéra son épouse et décida de partir en pèlerinage. En l’absence du prince, Aïcha rendit visite à sa marâtre qui l’invita à se promener dans le jardin. La mégère et ses filles la poussèrent dans le puits. |
W-tləggǟt līhā dīk ’žžənnīyyā mā ṭṛā līhā wǟlō, ’ttwəyymā llī fī kəṛšhā, wəldthōm ḫāṛṛžəthōm. |
La fée la protégea et Aïcha fut sauve. La princesse accouchait d’un garçon et d’une fille jumeaux dans le puits. |
Žǟbō ɛdōzā kṛǟwhā ɛl-Ɛāyšā, gǟtl-līhā : « Ǟžī yā bnīyytī nəflī līk ṛǟṣək w-nəfɛāl lək, w-ndīṛ lək. » Ḥǟlthā. Wəllǟt kōll zāġbā kā dōgg līhā bṛā fī ṛǟṣhā. W-hīyyā ṭṭīṛ, w-hīyyā twəllī ḥmǟmā, səḥṛəthā wəllǟt ḥmǟmā, ṭǟṛət ṣāfī. Gǟlt-līhōm : « Ānā fəkkītkōm. Ttǟfqō ɛlīhā. » |
La belle-mère chargea une sorcière de se débarrasser d’Aïcha. La sorcière lui proposa : « Viens, petite princesse, que je t’effile les cheveux. » La pauvre Aïcha lui fit confiance et lui tendit la tête. À la place de chaque cheveu effilé, la sorcière lui piquait une aiguille. Aussitôt, Aïcha devint tourterelle et s’envola : elle fut ensorcelée. |
Īwā wəllǟt dīk lḥmǟmā tā tmšī, tā tġīb, tā tžī l-’žžāṛḍā. ’Lbānnǟyā tā yəbnīw, ’lḫəddǟmā tā yḫədmō ’llī tā yġṛōs tā yġṛōs. |
La tourterelle s’absentait pour un temps et revenait au château. [Chaque fois qu’elle y revenait,] elle voyait les maçons construire des murs, les travailleurs en pleine besogne, les jardiniers qui cultivaient les arbrisseaux. |
Wəllǟt ḥmǟmā tā tžī tā-tgōl-līh : « Žənnǟn, yǟ žənnǟn ! yǟ lġāṛəs lḫōḫ w-’ṛommǟn, ɛāmḍṛā ? Wəld sīdī žā mən lġāybā w-lā bāqī ? » |
Elle vint et leur dit : « Arboriculteur, ô arboriculteur ! ô celui qui cultive pêcher et grenadier ! As-tu des nouvelles de mon Seigneur ? Est-il revenu de sa longue absence ? |
Tā ygōl-līhā : « Mǟzǟl, yā lāllā mǟzǟl ! » |
– Pas encore, tourterelle, pas encore, répondit le jardinier ! |
Tā tgōl-līhā : « Hāk ɛlā hād ġāybət sīdī llī mšā ,kōlšī kṛəm, kōlšī lwā. » Tā tžī l-’lbānnǟyā tā yḫədmō. Tā tgōl-līh : « Bānnǟy yǟ bānnǟy ɛāmḍṛā wəld sīdī žā mən lġāybā w-lā māzǟl ? » |
« Que les arbrisseaux se fanent », dit la tourterelle, et ils se fanaient aussitôt. La tourterelle se tourna vers le maçon et lui demanda : « Maçon ô maçon ! le fils de Sultan est revenu ou pas encore ? » |
Tā ygōl-līhā : « Mǟzǟl yā lāllā mǟzǟ. » |
Le maçon répondit : « Pas encore, tourterelle, pas encore. » |
Tā tgōl-līh : « Īwā kōlšī yṭīḥ, kōlšī yəlwā tā ḥǟžā mā tɛāwḍ w-wəld sīdī ġāb w-mā žā. » |
Elle ordonna : « Que tous les murs se détruisent. C’est pour mon Seigneur qui est parti sans nouvelles. » |
Gǟllək žā, ṣǟb kōlšī kṛəm, kōlšī mkāṛfəṣ, ləbnī mā ṭǟləɛ, īwā gǟlō-līh : « Ā wəddī qāṛṛəḍ mɛǟnā, ḥnā kā nšqǟw w-kā nəbnīw llī kā yəsqī kā yəsqī, ġādā tžī wǟḥəd l ḥmǟmā. » Qāṛṛəḍ mɛǟhōm. |
Enfin, le prince revint [de son voyage], il trouva son jardin fané, ses bâtiments démolis. Les travailleurs lui dirent : « Une tourterelle venait et maudissait nos ouvrages. » Il attendait jusqu’à ce qu’elle vînt. |
W-hīyyā tžī tānī, w-hīyyā tgōl-līh : « Žənnǟn, yǟ žənnǟn, yǟ lġāṛəs lḫōḫ w-ṛṛommǟn. Āmḍṛā ? wəld sīdī žā mən lġāybā w-lā bāqī ? » |
Elle s’adressa comme d’habitude à l’arboriculteur : « Arboriculteur, ô arboriculteur ! ô celui qui cultive pêcher et grenadier. As-tu des nouvelles de mon Seigneur ? Est-il revenu de sa longue absence ? |
Tā ygōl-līhā : « Žǟ yā lāllā žā. » |
– Il est rentré, tourterelle, il est rentré enfin ! répliqua le jardinier. » |
Ā tā ḫālṭət, hābṭət ṭǟḥət līh fī ḥəžṛō kī hōkk. Tā ydīṛ līhā həkk, tā ygləɛ dōk lbṛǟwǟt, tā yəglāɛhā : tā tnāqqəz b-’zzġāb, tā yəglāɛhā tā tnāqqəz b-’zzġāb. Tā wəllǟt mṛā, wəllǟt b-šɛāṛhā. Ṣōbḥǟn ’Llǟh lɛāḍīm ! |
Aussitôt, elle battit les ailes, s’approcha du prince et s’assit sur ses genoux. Le prince se mit à défaire les aiguilles : à la place de chaque aiguille dégagée, jaillit un poil et la tourterelle devint étrangement Aïcha avec ses beaux cheveux. Gloire à Allah ! |
Gǟlt-līh : « Fīn mšītī ? W-hā llī ṭṛā līyyā, hā llī ṭṛā līyyā bdǟt tā tɛāwd līh. Gāllk žā hōwwā w-bōh mqāṛṛḍīn. W-dīk ’žžənnīyyā ḫāṛṛžət dōk ’ddṛǟṛī. Gǟlt-līhōm, hǟdǟk ṛā žəddəkōm w-hǟdǟk ṛāh bōkōm, lāḥgō ɛāndhōm gōl hǟdǟ žəddī hǟdǟ bōya. |
Elle lui demanda : « Où étais-tu passé, [mon Seigneur] ? » Et elle se mit à raconter ce qui lui était arrivé. Le prince et le Sultan apprirent les malheurs qu’Aïcha avait subis. La fée rejoignit le ménage en compagnie des jumeaux. Elle leur montra leur père et leur grand-père et puis leur apprit comment ils devaient les appeler. |
Īwā gāllk mšā, hǟdōk lɛyǟlǟt llī ɛəmlōhā bīhā. Tṣāyfṭō mɛā hǟdīk māṛt bō Ɛāyšā Ṛmǟdā, dǟṛ žməl, ɛāṭšǟn w-žməl žīɛǟn. Fṛāq līhōm, lɛāṭšǟn tǟ-yžžōṛ lmā, w-’žžīɛǟn tǟ-yžžōṛ ’zzṛāɛ. |
Le prince décida de se venger pour sa princesse. Il arrêta la marâtre d’Aïcha Ramada et ramena deux dromadaires, l’un assoiffé et l’autre affamé. L’un tirait l’abreuvoir, l’autre le pot de grains de blé. |
Ḕh ! ṛā lġṛǟyb dyǟl lɛyǟlǟt bəkṛī ! |
Eh voilà ! Le manège des femmes d’antan ! |
Références bibliographiques.
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Sinaceur, Zakia Iraqui (1993), Le dictionnaire COLIN d’arabe dialectal Marocain, Editions Al Manahil, ministère des Affaires Culturelles.
[1] Selon la version de Charles Perrault publiée en 1697, la fée est la marraine de l’orpheline.
[2] L’expression « celle de Dieu » est prise littéralement pour conserver la nomination locale de la fée.
[3] Je remercie le professeur Aboubakr Chraïbi de m’avoir signalé ces versions.
[4] Le motif de l’aiguille qu’il faut retirer de la tête d’un oiseau pour qu’il retrouve sa forme humaine renvoie, entre autres, à d’autres motifs, par ex., Type 452B*.
[5] La conteuse donne une explication à ma question sur la signification de ’lməsmǟq.