Résumés des interventions
Introduction
par Ursula Baumgardt
L’oralité est souvent abordée selon un point de vue simplificateur : les littératures orales, pratiquées en milieu rural, dans des zones plus ou moins isolées et « traditionnelles », seraient conservatrices et incapables de s’ouvrir à l’innovation. Supposées absentes des milieux urbains, elles n’y seraient attestées que sous une forme « moderne » et sur de nouveaux supports technologiques. Ainsi, elles coexisteraient dans ces milieux en bonne harmonie avec l’écriture littéraire — et quelle écriture littéraire ?
Ce paradigme, largement répandu concernant les oralités en Afrique de l’Ouest, est réducteur, car il instaure une hiérarchie entre les modalités d’expressions littéraires : l’oralité, la néo-oralité et la scripturalité. Notre séminaire étudie ce point de vue dans une perspective transversale.
En Inde, dire l’épopée en ville. Question spatiale et/ou de statut social
par Catherine Servan-Schreiber
À partir de l’exemple des performances d’épopées qui se poursuivent dans divers espaces urbains en Inde du Nord, cette intervention s’interroge sur la relation ville/campagne en oralité. Elle montre le rôle de relais que joue la ville pour l’oralité, et elle fait ressortir la place de toute une sociabilité urbaine liée à la transmission des répertoires. Dans un deuxième temps, elle aborde le problème des limitations qui entravent l’accès de l’interprète à certains lieux urbains, tels que les studios de radio. Enfin, elle pose l’inévitable question des possibilités de diffusion des épopées au moyen des technologies d’Internet et de leur impact sur la popularité et la carrière des interprètes.
L’oralité macédonienne. De la scène théâtrale à la scène politique.
par Frosa Pejoska-Bouchereau
Le théâtre macédonien « de l’existence » ou « du quotidien » (1848-1950), bitoven teatar (битовен театар), relève à la fois de l’oralité et de l’écriture. La poésie orale (le chant), forme brève, ouvre et clôt les pièces. Insérée également dans le texte, elle est partie intégrante du discours narratif et de sa structure.
Le genre est inauguré par Jordan Adji Konstantinov-Djinot (1818/21 ?-1882) – Le Géant, durant la domination ottomane. Il marque son apogée entre les deux guerres mondiales, lorsque se succèderont les dominations bulgare et serbe. Il disparaîtra peu après la constitution de la République de Macédoine en 1945.
Le théâtre de « l’existence » se pense et s’écrit dans le but exclusif d’être dit et joué sur scène devant un public ciblé : les Macédoniens. Les scènes se déroulent en milieu rural ou urbain.
En regard des formes étatiques d’acculturation et de négation, le théâtre devient la scène où le politique recouvre la voix (vox populi) et inscrit l’existence d’un peuple à travers sa voix qui porte témoignage.
Poésie chantée, des fêtes de villages aux scènes nationales : exemples en ouïghour
par Mukaddas Mijit
La pratique de la musique classique ouïghoure a été développée depuis des siècles autour de la poésie spirituelle chantée. Étant la manifestation mélodique de la pensée soufie, ces sagesses ancestrales concernent tous les niveaux de la culture, permettant aux Ouïghours de façonner une identité contemporaine. Ces poésies chantées étaient largement pratiquées, jusqu’à très récemment, dans les rassemblements festifs et ruraux, du Nord au Sud de la région ouïghoure (Nord-ouest de la Chine). Elles contribuaient également à la création de spectacles, régulièrement présentés sur les grandes scènes nationales (à Urumchi, à Pékin ou à Shanghai) par des troupes artistiques professionnelles.
Cette communication s’intéresse à la place de quelques formes représentatives de l’expression poétique dans la transmission d’une mémoire collective. Elle revient sur la pratique de la poésie chantée dans les fêtes traditionnelles à l’occasion du mariage Meshrep, ainsi que dans la représentation des répertoires de suites musicales comme les On Ikki Muqam. Elle discute également la transformation (et l’interdiction) récente de certaines de ces pratiques culturelles dans une crise politique sans précédent.
La littérature orale en breton, un phénomène rural ?
par Nelly Blanchard
L’opposition entre oralité rurale traditionnelle et oralité urbaine moderne sur laquelle porte la manifestation, invite à réfléchir sur la définition et la représentation de l’oralité, à y confronter des situations qui remettent en cause cette perception binaire, à nuancer la radicalité de cette opposition. L’analyse du cas de la littérature orale en breton ne remet pas profondément en cause cette opposition, mais permet de mesurer la complexité du concept d’oralité par une réflexion sur ses rapports avec des pratiques et des caractéristiques qui lui sont associées.
En premier lieu, elle ne peut être abordée que dans le cadre de l’évolution des pratiques linguistiques en breton, faites de profonds bouleversements au XXe et XXIe siècles. En deuxième lieu, il s’agit de soulever la question du rapport de la littérature orale bretonne à la ruralité à l’aune du populaire et du paritaire. En deuxième lieu, la complexité du phénomène oral mérite attention, notamment au travers de la circularité oral-iconographie-écrit, de l’art de la composition d’actualité, du revival et de l’enseignement qui sont aujourd’hui les deux principales voies de valorisation de cette oralité.
L’enseignement bilingue et l’oralité : l’exemple occitan
par Pierre Escudé
L’occitan est dialectal, comme toute langue, mais n’a pas de « force d’intercourse » institutionnelle, si ce n’est par une littérature millénaire dont l’accès a été invisibilisé par la norme monolingue du français… et par l’Ecole elle-même.
Dans la réalité pédagogique, la ritualisation de l’oral et l’usage d’une graphie commune permettent une forme d’intercourse évidente. Se standardisant, la langue gagne en légitimité institutionnelle… mais se détache des « esprits de clocher », des formes dialectales qui légitiment la réalité de l’occitan dans les territoires et en sont les seules sources d’innovation linguistique – charge à la force d’intercourse de valider ou d’invalider cette innovation.
La réponse dynamique à cette problématique réside dans ce que Ronjat nommait « intercompréhension » : capacité à comprendre la structure d’une langue – ou d’un système de langues – et capacité à être en interaction compréhensive avec ses variantes.
Les transformations d’un conte quechua (Pérou) en milieu urbain
par César Itier
Nous présentons une analyse et une interprétation d’un conte quechua recueilli à Cuzco (Pérou). Intitulé « Le serpent », il a été écrit par Eugenia Carlos Ríos qui l’a entendu raconter par sa mère, Lucía Ríos Umiyauri. Il s’agit d’une version du conte habituellement connu sous le titre de « La jeune fille et le serpent », appartenant à l’ensemble thématique des « fiancés animaux ». Par rapport aux versions jusqu’à présent connues, celle-ci se caractérise par d’importantes innovations, dont la principale est l’ajout d’un épilogue et d’une morale qui renouvellent profondément sa signification. Cette version a été forgée par Lucía Ríos alors qu’elle avait quitté, avec son mari et ses enfants, sa communauté rurale pour s’installer dans la ville de Cuzco. Elle a aménagé un thème narratif traditionnel pour transmettre à ses filles un message susceptible de leur être utile dans le nouveau contexte où elles allaient vivre.
La chanson en milieu urbain et rural : le cas du kinyarwanda
par Chantal Gishoma
La chanson, indirimbo, est l’un des outils traditionnels très efficaces pour conserver et transmettre le patrimoine culturel rwandais. Aujourd’hui, tout en s’adaptant à la société moderne, la chanson continue de jouer son rôle. Omniprésente dans la vie quotidienne des Rwandais, elle accompagne l’enfant dans le berceau et à l’école ; le cultivateur dans son champs et le berger derrière son troupeau ; le politicien dans sa campagne politique et idéologique ; le religieux dans son église ; les chauffeurs sur leurs longs trajets, le médecin dans la mobilisation pour la vaccination ; l’exilé loin de son pays natal, le militaire au front, le journaliste à la radio et à la télévision…
Al-būqalāt, poésie féminine chantée en arabe algérien
par Fatima Zohra El Aïhar
Al-būqalāt est un genre de la poésie orale féminine en arabe maghrébin. Peu de recherches de terrain approfondies lui sont consacrées, mais selon mes observations personnelles, cette poésie est pratiquée en ville, notamment à Alger. Elle est chantée par des femmes pour des femmes, à différentes occasions, généralement dans une ambiance festive.
La vitalité de cette poésie orale, est-elle liée à sa forme et à ses fonctions ? Deux hypothèses peuvent être formulées. Les circonstances de la performance permettent aux femmes d’exprimer leur subjectivité, fonction qui favorise la présence de la poésie orale féminine en arabe algérien dans les milieux ruraux et dans les milieux urbains. Par ailleurs, le contexte de production, peu ou non formalisé, facilite l’adaptabilité de la poésie à des contextes variables et à la circulation entre plusieurs modalités d’expression.
Cependant, les conditions de vie étant devenues très difficiles, cette forme de littérature orale est produite moins souvent, car c’est une poésie chantée en contexte de détente et de convivialité.
Quelques champs d’application de l’oralité
par Emmanuelle Saucourt
À travers mon expérience de recherche de terrain et de formatrice en oralité auprès de publics de milieu professionnels variés, je présenterai différentes situations d’applications de l’oralité : en contexte pédagogique, thérapeutique ou social.
L’objectif des formations en oralité est de transmettre un savoir-faire sur ses applications. Il s’inscrit dans une compréhension plus globale et théorique de l’oralité, car la formation structure et développe des connaissances à deux niveaux complémentaires : l’immense répertoire international de contes, et les approches contemporaines qui en font un objet d’action dans la société et de réflexion sur les enjeux humains actuels.
En formant celles et ceux qui voient dans l’oralité une approche pour améliorer leurs pratiques professionnelles, nous contribuons à sortir l’oralité du carcan stéréotypique dans lequel elle est souvent enfermée. Sa force structurante permet, tout en aidant à une conscientisation des règles de langage, de questionner l’individu de tout âge sur sa place dans la communauté, son identité, l’interculturalité, la transmission, la mémoire, l’intergénérationnel, mais aussi sur son positionnement dans le monde contemporain, sur la force de l’imaginaire et du langage symbolique.
La poésie orale en somali, l’exemple de gabay
par Martin Orwin
Les genres de la poésie en somali comprennent deux types principaux, hees et maanso. Ils partagent les caractéristiques de la métrique et de l’allitération.
Le terme hees est traditionnellement utilisé pour les poèmes associés au travail et à la danse. Les poètes sont anonymes, leur textes peuvent être modifiés. Les poèmes traditionnels hees sont produits par les femmes ou par les hommes puisqu’ils sont associés à certains types de travail. Depuis les années 1960, la signification de hees s’est élargie à des chansons accompagnées d’instruments de musique.
En revanche, dans les poèmes maanso, les mots ne peuvent pas être changés, le poète est connu et doit toujours être reconnu comme étant l’auteur. Les poèmes de type maanso sont souvent plus longs que les hees traditionnels et ils sont considérés comme plus prestigieux. Ils ne sont pas associés à un type de travail particulier, mais traitent des questions qui préoccupent plus largement la société.
Dans mon exposé, j’étudie la poésie maanso en examinant spécifiquement le genre de « longue ligne », connu sous le nom de gabay.
Heeso caruureed « Chansons pour enfants » : un genre de la littérature orale en somali, au delà des frontières urbaines et rurales
par Fatouma Mahamoud
Heeso carruureed est un recueil de « Chansons pour enfants » en somali. Il s’agit d’un genre de la poésie orale féminine dans lequel la femme conseille, informe, loue ou dit des prières pour son enfant, mais où elle lui fait aussi des reproches, se plaint de son mari et étale ses griefs. La berceuse lui sert ainsi d’espace d’expression pour souligner ses propres mérites et l’immense devoir qui lui revient de prendre soin de l’enfant et de l’éduquer. Elle revendique ainsi l’importance de son travail et réclame la reconnaissance de son rôle.
La berceuse est par ailleurs une fenêtre ouverte sur le monde somali : le milieu désertique et une nature parcimonieuse ; l’aliment de base qui est le lait ; une vie dépendant entièrement du troupeau ; un environnement hostile où le danger d’animaux sauvages vous guette à tout instant, où l’on n’est pas à l’abri d’un conflit entre deux clans ; et enfin, la réalité d’une société patriarcale qui fragilise la femme.
ELLAF Éditions : un projet dédié aux littératures en langues africaines
par Aliou Mohamadou
Les maisons d’édition consacrées aux littératures en langues africaines sont rares. Cette carence se ressent tout particulièrement dans les pays francophones. Or, de nombreux textes inédits dans les langues africaines voient de plus en plus le jour, grâce surtout à une action militante. Par ailleurs, bien que la littérature orale continue à circuler tout en se réinventant à travers la néo-oralité, seule une faible partie de ses textes est publiée grâce aux efforts de chercheurs. L’édition savante des textes de l’oralité reste toujours indispensable ; il y a cependant nécessité de rendre ces textes accessibles aux locuteurs sans un appareil critique lourd. ELLAF Éditions cherche également à répondre aux demandes des populations, qu’elles soient urbaines, rurales ou de la daspora, qui ont besoin de littérature jeunesse qui les aide dans la transmission.
ELLAF Éditions combine le format livre traditionnel et livre numérique tout en cherchant des solutions au difficile problème de la diffusion du livre.